Micronouvelles Vincent Bastin
L'ART DE LA NOUVELLE !
J'ai dit "Micro-nouvelles" Garfield,
pas une saga en 3 tomes... !
INTRODUCTION de la Plume d'Ys
La Plume connaissant ses limites, elle a fait appel à Vincent Bastin, un auteur spécialiste de la micronouvelle qui semblait bien plus apte qu'elle à vous parler de cette mouvance littéraire. J'avais déja mentionné son site dédié entièrement à la "micronouvelle et nouvelles brèves" dans mon premier volet consacré au thème de la nouvelle : "L'art de la nouvelle : un essai de définition."
Vincent se définit avant tout lui-même par ses passions : il aime (op.cit.) "le jardinage, les bonsaïs (ce qui ne m'étonne pas pour quelqu'un qui aime les micronouvelles, il fallait qu'il aimât les microabres...), l'écriture, le classique, le violon, le thé, l'ambiance paso-flamenco, Lautréamont, André Blavier, l'histoire, les nouvelles taurines (on se demande bien pourquoi, hé hé !) mais aussi et surtout la vie de famille, les voyages..." Il est membre de l'Institut de Twittérature Comparée Bordeaux-Québec (ah, ben, encore un concept qu'il serait bon de traiter dans la Plume... N'est-ce pas Vincent.. à l'occase...) et contributeur de divers projets sur internet sous différents pseudos (Zorro masqué de la micronouvelle donc ?).
Dans une société zapping où le temps de lecture se réduit à quinze minutes par ci par là, dans les transports en commun, à la pause déjeuner, ou trois pages juste avant de s'endormir, le genre de la nouvelle me semble d'un intérêt renouvellé (quel jeu de mots...!) et la micronouvelle particulièrement en adéquation avec notre temps. Je vous laisse entre de "bonnes plumes" dont celles de Vincent. Bonne lecture à tous !
Sylvie, La Plume d'Ys.
A la découverte de la micronouvelle
article de Vincent Bastin
Voyons Garfield !
pas si micro que ça, les micronouvelles !
La micronouvelle (ou micro-nouvelle), appelée aussi, parfois, microroman, est la forme la plus brève de récit littéraire. Elle est rédigée en prose. Il arrive toutefois que le rythme des phrases qui la composent la rapproche de la poésie. Populaire dans les mondes hispanique et anglo-saxon, mise en exergue par les supports électroniques (textos, mails, Twitter, blogs, …) elle ne partage avec le haïku, malgré les apparences, aucune parenté. Si le haïku laisse une grande place à la contemplation de la nature et à la tradition, la micronouvelle éclipse toute description et sort volontiers des chemins de la sagesse pour mettre à nu, parodier, provoquer et déstructurer notre société. A noter que le terme micronouvelle a été utilisé pour la première fois dans le titre d'un ouvrage en langue française par un collectif d'auteurs canadiens réunis autour de Laurent Berthiaume (Cent onze micronouvelles, éd. Le grand fleuve, 2007).
La micronouvelle peut se définir de deux manières :
1) la micronouvelle d'une à cinq pages, dont les caractéristiques sont identiques à celles de la nouvelle
2) la micronouvelle de deux ou trois lignes, voire de quelques mots seulement, qui nous intéresse ici.
L'historique de la microfiction en général remonte à l'Antiquité avec des auteurs comme Eschyle. Son existence se fait relativement discrète jusqu'à la fin du XXe siècle et au début du XXIe, lorsque de plus en plus d'écrivains redécouvrent le potentiel de la concision extrême en littérature. Témoin d'une époque où tout va trop vite et où la lecture se perd parfois faute de temps, fruit de la génération zapping, la micronouvelle pourrait d'ores et déjà être perçue comme une tendance forte de la littérature du XXIe siècle.
Depuis la fin du XXe siècle, une nouvelle de six mots, For sale : baby shoes. Never worn. (A vendre : chaussures d'enfant. Jamais portées.), sans doute faussement attribuée à Ernest Hemingway, fascine des auteurs de toute origine et de toute langue par sa concision et la force de son impact sur le lecteur. Six mots suffisent ici pour conter tout le drame d'une grossesse à l'issue malheureuse, dont les acteurs ne sont même pas cités mais simplement suggérés.
Les Nouvelles en trois lignes de Félix Fénéon relatent des faits réels avec un humour noir subtile. Publiées dans la presse de 1906, elles ont été rééditées et commentées à plusieurs reprises depuis la fin du XXe siècle :
Elle tomba. Il plongea. Disparus.
Une machine à battre happa Mme Peccavi. On démonta celle-là pour dégager celle-ci. Morte.
En espagnol, c'est aussi en ce début de XXIe siècle que tombe, sous la plume de Felipe Lomeli, le record de brièveté détenu depuis 1959 par la célèbre micronouvelle El Dinosaurio, de l'auteur guatémaltèque Augusto Monterroso :
Cuando despertó, el dinosaurio todavía estaba allí. (A. Monterroso)
(trad. : Quand il se réveilla, le dinosaure était toujours là.)
¿Olvida usted algo? -¡Ojalá! (F. Lomeli)
(trad. : Oubliez-vous quelque chose ? - Oui, je l'espère !)
Depuis quelques années, de nombreuses micronouvelles sont disponibles gratuitement sur internet et, en particulier, sur des blogs d'auteurs et sur Twitter, où la limitation du nombre de caractères à 140 fournit une contrainte supplémentaire.
LES THEMES DE LA MICRONOUVELLES :
Les thèmes abordés visent souvent à analyser un aspect de la société en le décomposant totalement. Mon suicide, de Jean-Luc Caizergues (Flammarion, 2008), présente une série de textes qui ne se distinguent de la micronouvelle que par leur architecture poétique. Le sous-titre, poésie-fiction, exprime clairement l'intention de l'auteur d'explorer, loin des principes de la versification classique, l'espace commun entre la poésie et la narration. Cette série, centrée sur le je, son père et son fils, déstructure les relations familiales et ensevelit le lecteur sous un amas de pensées que la morale interdit :
Le primate
Je me blot-
tis dans
les bras
d'un grand
singe qui
m'étrangle.
Ma mère
accourt
et mon pè-
re enlève
son dégui-
sement.
Dans Petits Chaperons (éd. Outworld, 2009), José Luis Zárate détricote un conte de fées en accordant aux personnages des tendances libidineuses.
Dans un registre nettement moins corrosif, les Cent onze micronouvelles du collectif Oxymoron, réuni autour de Laurent Berthiaume, donne au lecteur l'impression d'être assis sur un banc, dans une ville, et de regarder passer les gens. Avec le pouvoir de capter, pour chacun d'eux, un fragment de leur vie.
REDIGER UNE MICRONOUVELLE :
Comment rédiger une bonne micronouvelle ? La micronouvelle réussie est celle qui, par sa fulgurence, continue à résonner dans la tête du lecteur une fois la lecture achevée. L'auteur conduit l'histoire par le non-dit ou par des jeux de mots subtils. C'est au lecteur, jamais passif, de recréer l'univers à peine ébauché et même, parfois, d'en découvrir le sens.
Ni devinettes, ni histoires drôles en guise de micronouvelles ! Celles-ci appartiennent à la tradition orale et à la sphère du spectacle. Tout autre chose, donc.
Concision oblige, la majorité des personnages qui peuplent les micronouvelles sont bien connus de tous (le Petit Chaperon Rouge, le loup des contes de fées, un pyromane, Roméo et Juliette, le diable, un dinosaure ou encore le Président de la République). S'ils sont croqués, c'est généralement d'un seul trait (l'homme-globe, l'homme au cœur-océan, la Comtesse dans son château, un journaliste assassin,…). A l'inverse, un recueil de micronouvelles peut aussi conter un fragment de la vie d'une série de personnages des plus ordinaires, dans le but de dresser le portrait d'une société. L'histoire peut aussi tout simplement être racontée à la première personne.
Les personnages, y compris le je, peuvent mourir et ressusciter plusieurs fois au cours d'une même série de micronouvelles. Potions magiques, enchantements et hallucinations peuvent faire partie de leur ordinaire. Humains, ils peuvent agir froidement en toute circonstance. Pantins de bois ou de chiffon, ils éprouvent souvent des sensations et des sentiments humains.
Le style se veut le plus concis possible. Généralement très dépouillé, il trouve sa subtilité dans les termes polysémiques (c'est-à-dire qui revêtent plusieurs sens) et autres jeux de mots, domaines dans lesquels excelle l'auteur Jacques Fuentealba :
Le pyromane a tendance à se prendre pour le maître du monde, car il peut avoir n'importe où son foyer. (Jacques Fuentealba, Tout feu tout flamme, éd. Outworld, 2009)
Une autre technique consiste à éclipser une partie du cheminement de l'intrigue pour créer un effet déroutant :
Dans la cohue de la bataille de Waterloo, le sergent grenadier Lazare s'infiltra seul parmi les troupes de Sa Majesté. Aussitôt, il fut tué, découpé en petits morceaux et amené à la reine. Puis, partagé entre les soldats de la fourmilière. (Vincent Bastin, Morts et Résurrections du sergent grenadier Lazare, IX)
L'ordre des mots est primordial. La chute de l'histoire en dépend. Dans une micronouvelle, c'est le dernier mot, ou dernier groupe de mots, qui révèle tout le sens de l'histoire :
M. le vicaire avait noté, en marge du De Profundis : "Torero retraité - avait pour ambition de partir toréer chaque espèce bovine dans son milieu naturel, du taureau des Highlands au watussi du Botswana. Corps retrouvé en aval de Vānārasī, Inde." (Vincent Bastin, Trois Micronouvelles taurines)
Comme en témoigne la plupart des textes reproduits ci-dessus, la micronouvelle fait la part belle à l'humour noir. Cependant, le collectif Oxymoron a montré qu'il était possible de se passer de cette caractéristique pour dresser un portait simple et réussi de la société nord-américaine actuelle.
BIBLIOGRAPHIE :
Lectures conseillées :
- Jacques Fuentealba, Micronouvelles : le poids des mots. Petits mais costauds in Black Mamba (n° 18), 2010
- Jacques Fuentealba, Nanofictions, in Deliciouspaper (n° 7), 2009.
Sites internet de micronouvelles en français :
- Olivier Gechter (http://gechter.org/blog/)
- Vincent Bastin, Micronouvelles (http://www.vincent-b.sitew.com)
Cliquez sur ce coquin de Garfield !
Vincent Bastin - septembre 2010
Article sous licence Creative Commons by-nc-nd
(paternité - pas d'utilisation commerciale - pas de modification)
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