Les fantômes : caractérisation filmique (1)
FANTOMES : RING
Un essai d'étude filmique:
caractérisation des personnages &
construction d'un récit horrifique
Caractérisations physiques du personnage fantôme...
INTRODUCTION
En complément de mon (fabuleux et extraordinaire !) article sur les fantômes que je vous ai concocté en essayant de vous donner un exemple de mise en travail d'écriture (Cliquez sur : Boouuhhh ! Fantômes ! un exemple de "mise en travail"), il m'a paru opportun d'introduire en parallèle, une ébauche d'étude filmique concernant le même type de personnage, en m'attachant à quelques films qui, pour moi, représentent une recherche originale et réussie de caractérisation des fantômes tout en renouvelant le genre.J'ai déjà insisté sur la valeur de l'image et sur son impact dans la manière que nous avons d'écrire et dans la manière désormais que nous avons de décrypter, à travers nos lectures, les personnages mais aussi les ressorts de la dramaturgie. Si les films s'inspirent souvent de récits couchés sur le papier, on aurait tort de nier l'impact de cette nouvelle vision de l'imaginaire et de la fiction, donnée par le cinéma, quand nous nous attachons à transcrire en mots ce que nous avons dans la tête. C'est que, dans notre tête, notre relation au monde a considérablement changé à travers les médias, la pellicule, la photographie... En quelque sorte, c'est un juste retour des choses : une coopération écrit-image et image-écrit qui, malgré quelques adaptations littéraires proches du navet, est absolument incontournable qu'on le veuille ou non.
Je reprends donc nos fantômes bien-aimés comme exemple, puisque maintenant, vous en savez beaucoup plus sur eux (n'hésitez pas à vous rafraîchir la mémoire en relisant mon premier (fabuleux et extraordinaire !) article les concernant. En même temps, j'en profite pour vous donner quelques ficelles concernant les rouages de mise sous tension du spectateur, rouages qui trouvent leurs correspondants dans les techniques d'écriture...
Vous allez voir et décrypter les ressources insoupçonnées de l'écriture filmique. Je vous engage à une réflexion personnelle sur votre manière d'écrire et comment vous pourriez adapter votre style et votre construction du récit quant à obtenir de tels résultats sur vos lecteurs...
RING
Version japonaise, hein...
1998, de Hideo Nakata - Scénario de Hiroshi Takahashi d'après le livre de Koji Suzuki "Ring". Il s'agit en effet d'une adaptation littéraire. Le bouquin est paru aux éditions Fleuve Noir (en format poche, c'est moins cher...)
Version littéraire primitive...
CINEMA JAPONAIS, SCHIZOPHRENIE, TRADITION & PARANOIA TECHNOLOGIQUE.... (mais non, je n'ai pas fumé la moquette...)
Je ne vais pas faire une analyse "sociologique" du cinéma japonais bien que cela soit extrêmement instructif quant à la compréhension d'une société à la fois héritière d'une lourde tradition transcendée dans tous les domaines : culture, rapports sociaux, inconscient collectif, etc. et portée en même temps aux avancées technologiques les plus novatrices de notre époque contemporaine.
Cet aspect schizophrénique du film et du livre a été souligné par des spécialistes du genre bien plus savants que moi en ce domaine. Ce qu'il faut noter, en revanche, pour nous, c'est que Ring a su renouveler un genre éculé comme celui des fantômes en alliant tout à la fois la caractérisation habituelle des revenants dans le film fantastique et des éléments de notre modernité comme la vidéo, élément de propagation de la malédiction du fantôme comme se propage un virus, créant le cercle dont personne ne sortira vivant.
Dans un précédent (fabuleux et extraordinaire !) article concernant l'idée que chaque objet peut devenir support d'une indicible terreur (Cliquez sur : Terreur en ligne ! ), je vous avais déjà branché sur les coups de téléphone intempestifs et malveillants... Voyez ici, dans Ring, combien le relai est pertinemment pris par la télévision. Cela aurait pu être aussi d'autres nouveautés technologiques comme les réseaux internet.... D'ailleurs d'autres scénaristes ne s'en sont pas privés... J'y reviendrai dans la fiche technique ci-dessous.
SYNOPSIS
Pour ceux qui auraient commis l'erreur impardonable de ne pas avoir vu ce film (version japonaise hein, quoi que la version américaine n'est pas mal non plus mais bon, cette dernière est beaucoup plus formatée, moins dépaysante tellement nous sommes gavés de culture américaine...), je rappelle très brièvement l'idée de départ mais comme je suis maligne, je vous donne le texte de la quatrième de couverture du livre, cela vous donnera peut-être envie de lire aussi le bouquin :
"Ceux qui regardent ces images sont condamnés à mourir dans une semaine, exactement à la même heure..."
Kazayuki Asakawa déglutit, les yeux rivés sur l'écran de télévision. Au fond de lui-même, il sait que c'est vrai, que ce n'est ni une plaisanterie, ni une menace en l'air.
Il sait que les quatre adolescents, dont sa propre nièce, qui ont regardé ensemble la cassette vidéo avant lui sont morts. Juste au même moment.
S'il veut survivre, il lui faut comrpendre d'où vient cette cassette, le sens de ces images énigmatiques et inquiétantes, de cette malédiction absurde.
Et il ne lui reste plus que sept jours. Même moins de sept jours !
Et pas la moindre piste..."
FICHE TECHNIQUE SUR LA DRAMATURGIE DE RING
Cette fiche technique ne prétend pas être exhaustive. Elle vous permettra en revanche de comprendre comment vous devez remplir vos fiches techniques concernant la préparation de vos chapitres, de vos scènes, sur la globalité de votre récit ou sur une scène précise (allez faire un tour du côté de la section "fiche pratique" de la Plume).
La fiche tient compte des techniques mises en oeuvre à la fois par le scénariste et par le réalisateur afin d'obtenir un impact émotionnel précis sur le spectateur. N'oubliez jamais que vous écrivez pour communiquer avec les autres. C'est à vous de vous creuser les méninges afin de faire passer votre message et susciter le plaisir chez le lecteur à vous lire par l'intermédiaire des sensations, émotions que vous lui procurerez par votre histoire, vos mots, votre style. Ce n'est pas le lecteur qui doit fournir des trésors de réflexion pour vous comprendre. Il a déjà fait l'effort d'acheter votre prose et de prendre le temps de vous lire. Dans le cas contraire, je vous suggère d'aller soigner votre ego et de vous faire comprendre par votre psy... (oui, je sais, je vais encore me faire beaucoup d'amis...)
1 - Thèmes globaux qui sous-tendent l'histoire : vengeance - enquête - survie - fantôme - malédiction ou maléfice - angoisse
2 - Caractérisation du personnage fantôme : pas besoin d'en faire des tonnes sur le plan des effets spéciaux pour construire l'image d'un fantôme dont l'apparation flanque une sacrée frousse.
Ici, matérialisation d'un fantôme vêtu d'un suaire blanc (je précise que la couleur blanche est le symbole de la mort, le noir quant à lui est plutôt le symbole du mal. Les symboles communément admis aident les spectateurs comme les lecteurs au décryptage de l'histoire avec un langage verbal, une analyse de la société et de ses ressorts compréhensibles par tous..)
L'angoisse est générée moins par l'apparition en elle-même que par les postures destructurées du corps lorsqu'il avance : dans le film, l'actrice se meut avec des techniques de mime finement étudiées. On a l'impression que le corps a subi un "démembrement" lorsqu'il marche. Cette allusion a un corps aux os brisés suscite un profond malaise alliant l'idée de douleur et d'impossibilité physique ou rationnelle de marcher normalement de cette façon : le surnaturel s'immisce ici, sans ostentation cependant, dans le récit... Voyez la finesse du procédé et l'économie de moyens : le personnage ne fait que marcher !!!
Le fait qu'il ne parle pas, participe également à la tension : c'est une fonction déterminante de notre condition d'être vivant que de parler ou tout du moins d'émettre des sons, des cris. L'absence d'un son organique relègue le personnage du fantôme à un être indéfini vivant mais aussi "chose" qui ne correspond à aucun repère connu de notre normalité.
Une autre idée de génie est d'avoir associé cette marche de zombie (vous remarquerez que ce seul procédé visant à nous faire peur est souvent repris dans les histoires de morts-vivants...) à l'absence d'un visage, non pas par un effet spécial mais simplement par cette chevelure noire et longue portée devant, ce qui d'ailleurs, renforce l'idée de destructuration du corps : les cheveux reposent habituellement sur le dos. La frontière habituelle du corps devant-derrière se brouille... Cette masse noire nous indique aussi qu'il y a également quelque chose de malveillant transpirant de cet être surnaturel, outre la douleur qu'il dégage. Ce fantôme ainsi caractérisé rend évidente l'idée qu'il est une entité particulièrement sombre.
Certains noteront que cette vision du fantôme n'est pas entièrement nouvelle. Nous sommes dans la représentation ancestrale japonaise des personnages de théâtre (un art très raffiné au pays du saké) de tradition No ou Kabuki.
3 - Quelques réflexions sur les autres personnages :
- Les lycéennes qui regardent la vidéo maléfique sont des personnages jeunes et innocents, choisis pour faire ressortir le fantôme antithétique et s'y opposer comme la juxtaposition de la couleur blanche et noire qui se ravivent mutuellement dans leur présence simultanée.
- Le personnage de Kazayuki, l'oncle d'une des lycéennes ayant subi la malédiction, est plus mature, de fait plus crédible et plus solide qu'un teenager pour occuper la fonction du personnage de l'enquêteur : s'il veut sauver sa peau, il faut qu'il enquête pour comprendre et essayer de trouver la parade. Il est le personnage "fil rouge" du récit. Pour autant, je ne peux pas dire ici, qu'il est le personnage principal... Ici, la construction du personnage s'apparentera donc au personnage type du détective dont l'écrivain peut s'inspirer directement. Voyez comme vous pouvez vous trouver des repères qui vous aident à l'écriture et à la construction de vos personnages et histoires...
- La vidéocassette n'est pas personnifiée à proprement parler, mais son rôle et sa signification sont tellement déterminants dans l'histoire que je place cet objet maléfique au rang de personnage. Le rôle de la TV est sous-entendu bien évidemment. La vidéocassette est le messager maléfique, le porteur de mort : l'image est votre tueur. Vous remarquerez qu'elle se comporte comme un virus biologique (autre procédé bien connu de mise en situation d'angoisse...) et qu'elle sème la mort implacablement avec un sursis de temps (d'incubation...) fixe, soit sept jours...
4 - Les ressorts de l'angoisse et de la construction du récit :
- L'enjeu de départ : sauver sa peau (thème récurrent s'il en est...)
- Premier élément d'angoisse : a priori, on ne peut échapper à cette malédiction. La mort au final est inéluctable.
- Deuxième élément d'angoisse : la pression temporelle : 7 jours pour s'en sortir. Là encore, procédé très traditionnel de suspense... Notons que la construction du récit part de ce constat : ces 7 jours doivent servir à enquêter pour trouver des réponses et éventuellement une solution.
- Troisième élément d'angoisse : mourir pour une cause peut être acceptable, mais là il y a une incompréhension totale de cette menace, mourir mais pourquoi ? Ne pas savoir, ne pas comprendre les sources de nos peurs est pire que tout. De fait, ces peurs sont incontrôlées, non discernées, non identifiées et aboutissent à la notion de terreur.
Le fantôme se meut comme une bête, à quatre pattes, les ongles arrachés et en sang (pour rappel d'un corps qui a tellement souffert). Il traverse l'écran, véritable sas entre le monde surnaturel et le monde réel. Il est l'heure de se trouver confronté à une terreur palpable et inéluctable..
- La terreur est générée par une situation banale et quotidienne : visionner la TV ou une vidéo. Ah ben, cela me rappelle quelque chose ça ! Pour ceux qui sont bien sages et qui ont lu mon article "Terreur en ligne".. Les autres, allez vite le lire sinon je vous flanque des coups de pieds (sinon à quoi ça sert que la Plume se décarcasse...) Pour les flemmards irrécupérables, je m'auto-cite (c'est grave docteur ? Cela me fait bizarre...) : "un des procédés, créateur de peur et de malaise (...) est le détournement de la fonction familière d'une chose (qui pourrait devenir "LA" chose) par l'auteur mal intentionné, que nous sommes tous plus ou moins, envers nos personnages." L'objet bien sûr est la vidéo, le téléviseur aussi, mais que voit-on aussi, hein ? Bon, je vous entends murmurer : "y'a le téléphone"... Ouf, au moins un qui suit... Je m'auto-cite encore (ben oui...) concernant le téléphone : "La sonnerie du téléphone est bien connue comme un élément sonore qui peut être fort désagréable, susceptible de nous faire surtauter, tant elle dérange le silence, règle ou dérègle, selon le cas, l'espace sonore d'un film ou les chapitres d'un roman..." Voyez qu'ici, le réalisateur Nakata, ne fait que reprendre un procédé technique désormais bien connu, mais il a l'idée visuelle et sonore d'associer les deux tensions pour l'instant paroxystique (on appelle cela "climax" au cinéma) que vit le personnage : l'apparition du fantôme sortant de l'écran du téléviseur et le téléphone qui sonne (il met le "paquet" !). En cette fin d'article, pour vous récompenser de votre assiduité, j'ai trouvé un petit extrait vidéo de Ring, qui est sans doute l'un des plus caractéristiques du procédé de mise en oeuvre de l'angoisse, et bien sûr, vous sursauterez à la fameuse sonnerie...
J'attire encore votre attention sur un décor particulièrement lourd de signification : le puits où a été jetée la pauvre enfant. La notion de l'eau, est communément admise comme étant l'environnement habituel d'esprits et de spectres...
Je note aussi pour le film, le refus d'une véritable musique d'accompagnement. Le choix se porte sur une bande son où seuls les sons inquiétants provenant de technologies inertes comme le bruit de bandes passantes sont admis et qui soulignent encore l'atmosphère de terreur de ce chef-d'oeuvre du 7ème Art.
CONCLUSION
Vous remarquerez donc, que la construction et l'aménagement des différents éléments notés ci-dessus ont permis à un réalisateur particulièrement talentueux de mettre en scène une oeuvre de qualité. Pourtant, au fond, il n'a pas inventé quelque chose de totalement inédit. C'est le travail de construction, la recherche de procédés générant l'émotion, la juxtaposition, l'ordonnancement, etc, des faits et gestes des personnages, la maîtrise du temps de la narration, le travail affiné de caractérisation des personnages qui ont permis un tel résultat.
La Plume ne peut vous donner le talent, mais elle peut vous faire travailler, les moyens et les techniques afin de vous aider à le développer, pour ceux qui auraient quelques dons...
Bonne Plume !
Tiens, je vais aller au vidéoclub moi, me taper une bonne vidéo...
La Plume d'Ys - Sylvie Parthenay -
Article sous licence Creative Commons by-nc-nd (voir : "Droit d'utilisation")
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